Des idées dans la suite

Éric Angélini




En hommage à Georges Perec, quelques suites autodescriptives insolites et peu étudiées attendent d'être explorées par les professionnels et les amateurs…

 L’Encyclopédie en ligne des suites de nombres entiers (en abrégé, OEIS), créée et administrée par l’Américain Neil James Alexander Sloane avec l’aide du Franco-Canadien Simon Plouffe, est une mine d’objets mathématiques fascinants. Vous y trouverez bien sûr les puissances de 2, les suites de Fibonacci, le décompte des trajets possibles d’une tour aux échecs qui veut se rendre en n mouvements d’un coin de l’échiquier au coin diagonalement opposé… Aujourd’hui, attachons-nous plutôt à des constructions plus insolites, abstraites et surprenantes : les suites « qui se décrivent elles-mêmes ». En hommage à l’écrivain français Georges Perec (1936–1982), membre fondateur de l’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo) qui savait se jouer des contraintes, voici le début de la suite de Perec : P = 5, 7, 1, 11, 2, 1, 3, 13, 2, 2, 1, 3, 12, 13, 0, 7, 1, 3, 11, 1, 5, 41, 12, 0, 7, 1, 5, 11, 2, 1…

« Traduite » en français (et en majuscules), cela donne :

P = CINQ, SEPT, UN, ONZE, DEUX, UN, TROIS, TREIZE, DEUX, DEUX, UN, TROIS, DOUZE, TREIZE, ZÉRO, SEPT, UN, TROIS, ONZE, UN, CINQ, QUARANTE ET UN, DOUZE, ZÉRO, SEPT, UN, CINQ, ONZE, DEUX, UN…

Faisons comme Perec dans son ouvrage la Disparition (Gallimard, 1989), rédigé sans faire le moindre usage de la lettre « e » : supprimons toutes les lettres « e » de P (et remplaçons-les par une barre verticale). On obtient :

P = CINQ, S|PT, UN, ONZ|, D|UX, UN, TROIS, TR|IZ|, D|UX, D|UX, UN, TROIS, DOUZ|, TR|IZ|, Z|RO, S|PT, TROIS, ONZ|, UN, CINQ, QUARANT| |T UN, DOUZ|, Z|RO, S|PT, UN, CINQ, ONZ|, D|UX, UN…

On voit apparaître une succession de blocs de lettres dont les tailles successives sont données… par la suite de Perec elle-même ! La taille des blocs figure ici entre parenthèses à la place des barres verticales :

P = CINQS(5)PTUNONZ(7)D(1)UXUNTROISTR(11)IZ(2)D(1)UXD(3)UXUNTROISDOUZ(13)TR(2)IZ(2)Z(1)ROS(3)PTTROISONZ(12)UNCINQQUARANT(13)(0)TUNDOUZ(7)Z(1)ROS(3)PTUNCINQONZ(11)D(1)UXUN…

Un bloc de taille zéro est possible : dans le nombre 41 (« quarante et un »), il n’y a aucune lettre entre les deux « e ».

On peut construire une infinité de telles suites de Perec :

Q = HUIT, SIX, DEUX, SIX, SEIZE, UN, DIX, DEUX…
Q = HUIT, SIX, D(8)UX, SIX, S(6)IZ(2), UN, DIX, D(6)UX…

Des questions souvent difficiles

De telles suites, très spectaculaires quand elles sont présentées à des amateurs de jeux mathématiques, n’attendent que votre imagination pour se dévoiler ! La lettre « e » a servi ici de séparateur, mais d’autres choix auraient pu faire l’affaire. Voici par exemple une suite où le délimiteur doit être placé immédiatement derrière la lettre « u » :

R = 1, 6, 8, 5, 8, 9, 3, 8, 5, 9, 8, 5, 8, 9, 3, 9, 3, 8, 9, 3, 8, 5, 9…

Ou encore :

R = UN, SIX, HUIT, CINQ, HUIT, NEUF, TROIS, HUIT, CINQ, NEUF, HUIT, CINQ, HUIT, NEUF, TROIS, NEUF, TROIS, HUIT, NEUF, TROIS, HUIT, CINQ, NEUF…

puis

R = U|N, SIX, HU|IT, CINQ, HU|IT, NEU|F, TROIS, HU|IT, CINQ, NEU|F, HU|IT, CINQ, HU|IT, NEU|F, TROIS, NEU|F, TROIS, HU|IT, NEU|F, TROIS, HU|IT, CINQ, NEU|F…

Cette suite est, d’une certaine manière, autodescriptive, et en tout cas autoréférente. Une telle suite est-elle infinie ? S’arrête-t-elle ? Est-elle susceptible d’entrer dans une boucle ? Les réponses à ces questions sont souvent difficiles… Bon amusement !

SOURCES

Suites et séries. Bibliothèque Tangente 41, 2011.