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Le pont des Sourires

Kylie Ravera




L'Institut intergalactique est le temple de l'excellence, où exerce le redouté professeur Phi. Une activité sportive vire au cauchemar lorsque les éléments se déchaînent, que le groupe se perd et que Phi se bloque le dos.

Sous la pluie drue et glacée, le quatuor harassé avance en clopinant sur un chemin en pente ruisselant de boue. L’obscurité en embuscade fait battre les cœurs un peu plus vite, mais le sentiment d’urgence qu’elle suscite ne parvient pas à accélérer le rythme de la marche – bien trop lent, tous en sont conscients.

« On va crever ici ! Comme des pneus qui auraient roulé sur un sachet de punaises. C’est horrible ! »

La voix de Bêta se brise dans un sanglot, avalé aussitôt par une bourrasque tourbillonnante.

« Taisez-vous, Bêta. Arrêtez de paniquer, cela ne nous avance à rien. »

Le professeur Phi a lâché ces mots entre des dents serrées par la douleur. « Peut-être devriez-vous me laisser me reposer ici… suggère l’enseignant une nouvelle fois. Pour aller plus vite, et prévenir les secours…

– Hors de question, réplique aussitôt Alpha, qui se tient à l’avant du groupe, déployant son poncho jaune qui ne protège plus personne de rien. Nous n’avons aucune idée de l’endroit où nous nous trouvons, il n’y a pas d’abri en vue et il pourrait se passer des heures avant que nous ne puissions venir vous rechercher. On s’en sortira tous ensemble. »

Seule Epsilon ne dit rien. Avec sa cheville foulée, elle n’en mène pas beaucoup plus large que le professeur Phi et son dos bloqué.

« Une course d’orientation sans assistance et sans communicateur, quelle riche idée de Môssieur le Directeur de l’Institut intergalactique ! gémit encore Bêta. Comme ça, impossible de prévenir qui que ce soit, et personne ne sait où nous sommes… Bonjour la sécurité, la prévoyance et le sens des responsabilités.

– Il n’avait pas prévu que la météo dégénérerait si vite, tente de défendre Alpha. La planète Huber-Klawitter n’est pas connue depuis très longtemps et réserve encore des surprises. Et puis, on a quand même manqué de chance avec Epsilon qui s’est foulé la cheville en trébuchant sur une racine, et le professeur Phi qui s’est coincé le dos en essayant de la relever. On a marché beaucoup moins vite qu’on aurait dû.

– C’est ma faute, murmure la jeune fille, au bord des larmes.

– Plutôt la mienne, la reprend le professeur Phi en réprimant une grimace. J’ai bien vu que Bêta triangulait notre position n’importe comment et qu’Alpha tenait la carte à l’envers, mais je voulais qu’ils aient l’occasion de se corriger d’eux-mêmes… »

Il n’en faut pas plus pour que Bêta reprenne ses récriminations : « On nous avait promis un retour à la nature, la communion avec les éléments, la célébration de l’esprit d’équipe… Histoire de resserrer les liens entre les élèves et les professeurs, qu’ils disaient… Mais j’ai jamais demandé à resserrer mes liens avec le professeur Phi, moi ! »

Sa litanie est soudain interrompue par un cri.

« Bêta ! Tout va bien ?

– Non ! mugit le jeune homme. La rivière de boue vient d’emporter l’une de mes chaussures… Ça ne va pas m’aider à avancer plus vite, mais de toute façon, ce n’est pas moi le maillon faible de l’histoire, hein… »

 

Le petit pont de bois, qui ne tenait plus guère…

 

L’obscurité est à présent quasiment totale et Alpha se décide à sortir la seule lampe de poche du groupe, modèle antique à piles dont il souhaitait économiser les batteries le plus longtemps possible.

C’est dans la lueur vacillante du faisceau lumineux que jaillit la première source d’espoir ; elle a la forme d’une pancarte en bois qui indique : « Pont des Sourires – 250 m. » Pile derrière, une passerelle d’aspect fragile s’enfonce dans la brume épaisse, surplombant un torrent rugissant.

« Nous sommes sauvés ! s’exclame Alpha. C’est de l’autre côté de ce pont que se trouve la seule station de téléphérique automatisée du coin, qui peut nous ramener dans la vallée. »

Epsilon attire alors son attention sur un panneau qui marque l’entrée de l’édifice : « Tu as vu ça ? On ne peut pas s’engager à plus de deux en même temps sur le pont. Et la dernière navette de la journée part dans vingt minutes… »

Alpha calcule rapidement : « Je peux parcourir deux cent cinquante mètres en une minute. Avec sa chaussure en moins, Bêta doit pouvoir traverser en deux minutes. Avec ta cheville, Epsilon, il te faudra sans doute cinq minutes. Et disons dix minutes au professeur Phi à cause de son dos. Également, nous n’avons qu’une seule lampe de poche, qu’il va falloir ramener à ceux qui n’ont pas encore traversé, et à deux sur le pont, nous n’avancerons qu’à la vitesse du plus lent. Je suis le plus rapide, donc ce serait à moi de faire les allers avec chacun de vous et revenir avec la lampe pour que ce soit le plus efficace.

– Ça va nous prendre dix-neuf minutes, dit Bêta, à qui le stress fait faire des additions à une vitesse inédite. C’est beaucoup trop juste !

– Imbéc… commence le professeur Phi, avant de se reprendre. Il y a une méthode pour gagner du temps. Ne traînons pas ! »

Et vous, cher lecteur, comment procéderiez-vous à la place de nos amis pour augmenter vos chances d’attraper la dernière navette ?

 

 

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