Le bridge ouvre l'IA vers un avenir prometteur

Gilles Cohen

dossier : Joueurs artificiels

HS Kiosque 68 : Intelligence artificielle

Le bridge est l'un des rares jeux à résister aux progrès de l'informatique. Pour en venir à bout, une universitaire française s'apprête à bouleverser les idées reçues sur le développement de l'IA et à lui faire franchir un cap qui l'ouvrira à de nouveaux défis.

Depuis trois ans, Véronique Ventos, professeure associée à l’université de Paris-Saclay en apprentissage automatique et optimisation, a concentré ses recherches en intelligence artificielle sur le bridge, un jeu qu’elle pratique depuis de nombreuses années (elle est « première série Pique »). Les perspectives ouvertes par ses travaux sont si ambitieuses qu’elle a convaincu de nombreux chercheurs de rejoindre sa start-up, NukkAI (voir FOCUS).

En quoi le bridge est différent

Véronique Ventos portant le t-shirt $\nu$ Bridge. $\Nu$

Tangente : La différence essentielle entre le bridge et les échecs ou le go, c’est que l’information y est incomplète puisqu’on ne connaît pas les cartes des autres joueurs. Qu’est-ce que cela implique pour le traitement informatique ?

Véronique Ventos : « Les méthodes désormais classiques du programme AlphaGo (voir article "Jeu de go") pour le jeu de go ne permettent pas pour le moment de traiter les jeux à information incomplète. Ces méthodes doivent être adaptées pour gérer un ensemble d’états possibles du jeu et pas seulement un état réel connu de tous à un instant donné. La difficulté informatique est la taille potentiellement considérable de cet ensemble d’états. »

Quelles sont les autres différences significatives ?

« Il y ... Lire la suite gratuitement

références

The Game of Bridge: A Challenge for ILP. Swann Legras, Céline Rouveirol, Véronique Ventos, in Inductive Logic Programming, Springer, 2018.

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Les règles du bridge

Les règles du bridge

Une partie de bridge oppose deux paires de deux joueurs autour d’une table carrée (chaque joueur est placé en face de son partenaire). Les cinquante-deux cartes sont distribuées (treize cartes chacun) par un des joueurs, le donneur.

La première phase de jeu est celle des enchères : à tour de rôle à partir du donneur, dans le sens des aiguilles d’une montre, chaque joueur « passe » s’il n’a rien à dire, ou propose une enchère, qui s’exprime à l’aide d’un chiffre entre 1 et 7 et d’une « couleur » (dans l’ordre croissant : trèfle, carreau, cœur, pique, sans-atout). Chaque enchère doit être supérieure à la précédente, soit par le chiffre annoncé (le niveau), soit à égalité de niveau par la valeur de la couleur.

Quand trois des joueurs ont passé, les enchères sont terminées ; commence la phase du jeu de la carte.

Celui qui a enchéri le premier dans la couleur de la dernière enchère est le déclarant, son partenaire est le mort, qui étale ses cartes faces visibles, tandis que le déclarant va s’efforcer, à l’aide des deux jeux, de réaliser le contrat. Ce contrat correspond à la dernière enchère du camp, à savoir un nombre de levées égal à 6 plus le niveau de l’enchère, l’atout étant la couleur de cette enchère. Les deux joueurs de l’autre équipe (les défenseurs) tâchent de s’y opposer.

NukkAI, start-up de l'intelligence artificielle

NukkAI, start-up de l'intelligence artificielle

Ancien élève de l’École polytechnique, agrégé de mathématiques, titulaire d’un DEA d’intelligence artificielle et classé vingt-troisième joueur de bridge français, Jean-Baptiste Fantun a fondé avec Véronique Ventos la start-up NukkAI, un laboratoire privé d’intelligence artificielle qui regroupe des chercheurs, ingénieurs et experts de bridge qui se consacrent au projet NuBridge. Il nous présente le développement actuel de cette société.

« Nous avons levé dès mai 2018 un capital amorçage auprès d’importants investisseurs, ce qui nous a permis d’embaucher deux ingénieurs et cinq chercheurs. Nous voilà donc lancés ! Notre prochaine levée de fonds aura lieu en mars 2019, pour une envergure de l’ordre de dix millions d’euros.

Côté recherche, nous avons fait un premier voyage en juin aux États-Unis pour initier et convaincre la communauté IA et recruter les futurs membres de notre conseil scientifique. Notre premier article scientifique a été accepté à la conférence internationale de programmation logique inductive qui s’est déroulée à Ferrara fin août. Cela nous a permis de mobiliser toute une communauté de recherche autour de notre sujet.

Côté bridge, de nombreux experts (Philippe et Bénédicte Cronier, José Damiani, Jean-Christophe Quantin) ont accepté de travailler à définir les contours des prochains défis “bridge vs humains”, en faisant participer à la réflexion des joueurs et experts internationaux (Krzysztof Jassem, Marek Malysa). Le projet devait être présenté fin septembre aux championnats du monde, à Orlando, sur l’invitation de la Fédération mondiale de Bridge, qui souhaite nous apporter son soutien.

L’idée de NukkAI va évidemment bien au-delà du bridge : L’équipe que nous sommes en train de constituer et l’architecture hybride que nous construisons auront à terme une grande valeur par sa capacité à pouvoir s’adapter demain à des domaines qui nécessiteront que la machine soit capable d’expliquer ses décisions de façon compréhensible. »

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