Laurent Schwartz, mathématicien engagé et surprenant


Élise Janvresse et Antoine Houlou-Garcia

La sortie de la bande dessinée Laurent Schwartz, les engagements d'un médaillé Fields, est l'occasion de revenir sur la vie et les combats de ce mathématicien surprenant.

Une vie...

Laurent Schwartz (1915-2002) intègre en 1934 l’École normale supérieure où il rencontre Marie-Hélène Lévy, fille du probabiliste Paul Levy, elle aussi mathématicienne – ses travaux porteront sur la topologie des variétés algébriques singulières. Ils se marient en 1938 et auront deux enfants. Pendant la Seconde Guerre mondiale, en tant que juif et trotskyste engagé, il doit se cacher à Toulouse puis à Clermont-Ferrand, où il soutient sa thèse en 1942. 

En mathématiques, Laurent Schwartz formalise la théorie des distributions, qui généralise la notion de fonction, ce qui permet notamment de mieux modéliser des questions physiques, où beaucoup de problèmes discontinus conduisent à des équations différentielles dont les solutions sont des distributions plutôt que des fonctions ordinaires. Ce travail lui vaudra la prestigieuse médaille Fields en 1950. 

Engagé en faveur de la décolonisation, il dénonce la torture par l’armée française lors de la bataille d’Alger et le bombardement massif américain au Vietnam. 

Professeur à l’École polytechnique de 1959 à 1980 et membre de l’Académie des sciences, il développe la coopération internationale en mathématiques en donnant des cours en Asie et en Amérique du Sud.

 

 

... en bulles...

Dans la même collection que Les oscillations de Joseph Fourier et Les audaces de Sophie Germain, les éditions Petit à petit nous proposent cette année Laurent Schwartz, les engagements d’un médaillé Fields.

L’ouvrage, qui alterne BD et documentaires, retrace le parcours intellectuel du mathématicien, mais ne s’intéresse pas qu’aux maths. Laurent Schwartz était aussi passionné par l’entomologie, et surtout un homme fortement engagé dans les causes qu’il trouvait justes. Il se battit notamment contre l’utilisation de la torture pendant la guerre d’Algérie, signa le manifeste des 121 (ce qui lui valut d’être révoqué de ses fonctions à l’École polytechnique), dénonça les exactions de l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam, s’engagea contre l’internement arbitraire de scientifiques par des régimes dictatoriaux...

Outre l’intérêt des points historiques, un des mérites de cette BD documentaire, très accessible, est de montrer que, contrairement aux idées reçues, les mathématiciennes et mathématiciens ne sont pas des gens qui vivent hors du monde, mais sont bien aux prises avec le réel.

 

Laurent Schwartz, les engagements d’un médaillé Fields,
Emmanuel Marie, Hervé Pajot, Stefano Realdini,
Petit à petit, 64 pages, 2024, 17,90 euros. 

 

... et en film !

À l’occasion de la sortie de la bande dessinée consacrée à Laurent Schwartz, l’Institut Fourier (Grenoble) a conçu l’exposition « Laurent Schwartz, des mathématiques à l’engagement politique ». Elle accompagne un passionnant film documentaire d’une demi-heure (à visionner sur laurentschwartz24.sciencesconf.org) retraçant le parcours intellectuel, engagé et personnel de ce grand mathématicien. Après une introduction tirée d’un texte de la mathématicienne Claudine Schwartz évoquant ses souvenirs d’enfance avec ses parents, une partie est consacrée à une très bonne vulgarisation de la théorie des distributions, tandis qu’une autre est dédiée à la passion de la chasse aux papillons (sic !), à laquelle Laurent Schwartz s’adonnait. Il raconte ainsi dans Rugissements, dont un extrait est lu dans la vidéo, que lorsqu’il était au Venezuela « d’abord pour donner des conférences mathématiques et ensuite pour aller chasser des papillons », il s’est ainsi retrouvé nez-à-nez avec un jaguar !

Ses combats politiques, notamment lors de « l’affaire Maurice Audin », et son implication pour moderniser l’enseignement à l’École polytechnique sont également évoqués.