Un autre Goncourt pour un autre mathématicien


Élisabeth Busser

Les mathématiques ont fait coup double en 2021, avec deux prix Goncourt.

En plus de celui de littérature à Hervé Le Tellier pour l’Anomalie (Gallimard, 2020, voir Tangente 198), le prix Goncourt de la poésie-Robert-Sabatier a été décerné ce 4 mai à Jacques Roubaud pour l’ensemble de son œuvre.

Authentique mathématicien, par sa thèse sur « Les morphismes rationnels et algébriques dans les types d’A-algèbres discrètes à une dimension », soutenue en 1967, puis professeur des universités jusqu’en 1991, Jacques Roubaud se définit lui-même comme « compositeur de mathématique et de poésie ».

De la poésie, Jacques Roubaud en a appris des milliers de vers, en a étudié tous les genres, de la littérature médiévale aux textes de Lewis Carroll – dont il a traduit La chasse au Snark (Gallimard, 2010), et en a signé plus d’une centaine d’ouvrages. Entré à l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) par le choix de Raymond Queneau en 1966, joueur influent de go, sur lequel il a publié un traité avec Georges Perec, il est surtout attiré par les écritures sous contraintes d’origine mathématique et principalement combinatoire. On retiendra son penchant pour les chiffres : les permutations de la sextine (poème à forme fixe de six sizains dont les fins de vers se déduisent par permutations, voir notre dossier « Maths et poésie », Tangente 130, 2009), les trois cent dix-sept remarques (parce que 317 et premier, son palindrome 713 aussi…) de chaque section de sa Poétique. Remarques (La Librairie du XXIe Siècle, 2016), ses ouvrages où les titres sont chiffrés comme Trente et un au cube (Gallimard, 1973), 128 poèmes (Gallimard, 2001), Ode à la ligne 29 des autobus parisiens (Le Tripode, 2012)… On se souviendra aussi de son roman Mathématique (Le Seuil, 1997), où il n’a pas peur des mots en rappelant son désarroi d’étudiant devant les
« maths modernes » où la plupart de ses condisciples « se sentirent tomber sans parachute dans un territoire hostile ». On n’oubliera pas non plus son feuilleton « Pythagore », composé en 2001 pour célébrer sur France Culture le millésime précédent, l’Année mondiale des mathématiques (proclamée par l’Unesco).

Jacques Roubaud.