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Pour calculer la population de la France, Laplace propose une méthode par sondage basée sur les naissances et introduit la loi normale pour estimer l’erreur. Il faudra attendre le XXIe siècle pour que l’Insee s’en inspire.

Le calcul de la population de la France en 1781‒1782

Dans un mémoire présenté en 1783 à l’Académie royale des sciences et publié en 1786, Laplace affirme qu’il « est intéressant à tous égards de connaître la population de la France, d’en suivre le progrès, et d’avoir la loi suivant laquelle les hommes sont répandus sur la surface de ce grand Royaume ». Aussi introduit-il une méthode pour en calculer la population sans faire un recensement exhaustif de tous les individus.

 

 

Laplace possède la liste des naissances en 1781 et 1782. Il propose de calculer le rapport du nombre de personnes par rapport au nombre de naissances « dans un grand nombre de paroisses choisies dans toutes les provinces du Royaume ». Il lui suffit alors de multiplier le nombre total de naissances du pays par ce rapport.

« Les dénombrements déjà faits en France, comparés aux naissances, donnent à peu près 26 pour le rapport de la population aux naissances ; or si l’on prend un milieu entre les naissances des années 1781 et 1782, on a 973 054 ½ pour le nombre des naissances annuelles […] ; en multipliant donc ce nombre par 26, la population de la France entière sera de 25 299 417 habitants. »

 

En route vers la loi normale

Après avoir déterminé la population de la France (voir ci-dessus), Laplace ajoute : « Maintenant je trouve par mon analyse que pour avoir une probabilité de mille contre un de ne pas me tromper d’un demi-million dans cette évaluation de la population de la France il faudrait que le dénombrement qui a servi à déterminer le facteur 26 eût été de 771 469 habitants. »

Voyons sa méthode de calcul : il suppose une urne remplie d’une infinité de boules blanches et noires dans un rapport inconnu et que, dans un premier tirage, on ait obtenu p boules blanches et q boules noires. Supposons que dans un second tirage, on obtienne q’ boules noires et que l’on ignore le nombre p’ de boules blanches tirées. Si le rapport était le même, on aurait p’ = pq’ / q.

Laplace cherche la probabilité que le « vrai » nombre p’ soit compris

entre  et 

En appelant x la proportion de boules blanches, il donne la probabilité de tirer p’ boules blanches par la loi binomiale. Comme p’ est inconnu, il somme ensuite pour p’ variant de 0 à l’infini, puis intègre pour x variant de 0 à 1. En utilisant une approximation de la loi binomiale qu’il a démontrée dans un autre article, il obtient alors que la probabilité d’avoir p’ situé entre les deux valeurs proposées plus haut vaut :
 

 

 

On effectue le changement de variable  pour obtenir  où T = T(ε) est calculé en fonction de l’erreur 

maximale ε qu’il s’autorise. On retrouve la loi normale, dite loi de Laplace‒Gauss, alors que le « prince des mathématiques » n’avait que 6 ans !

 

Quand l’Insee s’inspire de Laplace

Laplace revient à son dénombrement de la population (voir ci-dessus). Il considère que chaque naissance est une boule noire et chaque « individu existant » une boule blanche ; les entiers p et q correspondent à son observation sur l’échantillon et q’ au nombre de naissances totale en France. Le but est de trouver p’, c’est-à-dire la population de la France entière. L’immense intérêt de la démarche est de calculer l’intervalle de confiance grâce à la loi normale et d’ouvrir ainsi un champ nouveau dans les statistiques des échantillons.

Quant à la détermination de la population de la France, on a choisi de recenser chaque individu pendant deux siècles, de 1801 à 1999 ; on sait que cette méthode sous-estime de 1 à 2% le nombre réel, mais peu importe. Depuis 2004, pour les communes de plus de dix mille habitants, une méthode s’inspirant de celle de Laplace est utilisée. Seule différence : les naissances sont remplacées par les logements habités.

Références

Sur les naissances les mariages et les morts. Pierre-Simon de la Place, Histoire de l’Académie royale des sciences, 1786.

• Mathématiques et géographie. Bibliothèque Tangente 40, 2011.