Cédric Villani est un être à part. Il a redonné aux hommes le goût de la lavallière et ne choque pas les dames en arborant une araignée. Son livre est à l’image de son personnage. La lavallière, ce sont ces passages en italiques, parfois en anglais – rassurez vous, ils sont traduits en fin de livre – qui racontent des histoires, celle des mathématiques, celles des mathématiciens ou de leurs théorèmes, et leurs relations avec l’Histoire du monde (laquelle mérite la majuscule ? pas forcément celle qu’on croit). Les araignées, ce sont ces passages purement techniques, bourrés d’équations aux dérivées partielles ou d’intégrales multiples que même les spécialistes ont du mal à suivre. Mais voilà, personne ne trouve les premiers passages désuets, et tout le monde est fasciné par les seconds, c’est cela le miracle Villani !
L’intrigue pourrait se résumer aux centaines de mails – consciencieusement « copiés-collés » – échangés entre Cédric Villani et Clément Mouhot, son ancien étudiant, celui sans qui Cédric n’aurait pas forcément obtenu la médaille Fields. C’est aussi un peu cela, ce livre, un hommage à celui qui est resté dans l’ombre. Mais le livre est avant tout une quête, celui de la médaille Fields, au travers de l’explication mathématique d’un phénomène physique dont personne, hormis les spécialistes, n’avait entendu parler, l’amortissement (damping) Landau. Pour le comprendre, Cédric, qui part de zéro – dit-il –, abandonne momentanément ses recherches sur la convergence vers l’équilibre de l’équation de Boltzmann. Il se lance à corps perdu vers cette explication, qu’il croit tenir plusieurs fois, mais qui fuit, le forçant à faire preuve d’une imagination et d’une ingéniosité inouïes, pour finir par la maîtriser. Mais n’est-ce pas justement cela que l’on attend d’un médaillé Fields ? Ses recherches sur l’équation de Boltzmann n’en seront que stimulées, et ce sont les deux résultats qui lui vaudront d’être plébiscité à Hyderabad.
Au-delà du contenu, la forme séduit. C’est trop injuste que l’on trouve chez le même ce talent d’écriture qui s’ajoute au talent scientifique ! On lit ce livre comme un roman – c’est un roman –, on se prend à l’intrigue, jusqu’à s’inquiéter de cette jeune chercheuse chinoise qui semble vouloir le coiffer sur le fil, jusqu’à se passionner pour ces personnages hors du commun que le héros rencontre, certains que l’on pensait connaître, comme John Nash, ou d’autres que l’on découvre avec fascination, comme Vladimir Scheffer. Le talent d’illustration de Claude Gondard ne nuit pas à cet intérêt, loin s’en faut.
Enfin, on se laisse aller à goûter la poésie de certains passages et le vrai style qui émane de ce livre. Non, ce n’est pas seulement une mode si Cédric a été invité par tout ce qui compte en France dans le domaine médiatique !