Une histoire de l'invention mathématique
J. Dhombres - C. Alvarez
Hermann
2013
448 pages
36 €
Cet ouvrage fait suite à Une histoire de l’imaginaire mathématique, des mêmes auteurs, paru en 2011 (voir Tangente 145). Si le précédent retraçait la quête du théorème fondamental de l’algèbre (« tout polynôme de degré n possède n racines ») juste avant sa preuve par Gauss, ce deuxième tome couvre une centaine d’années à partir de 1795.
Dans la tradition des riches ouvrages de Jean Dhombres, l’ordonnancement des chapitres est scrupuleux et on « démarre » dès les premières pages avec les vingt-neuf énoncés différents du théorème fondamental de l’algèbre entre 1795 et 1895, ce qui n’est pas rien ! Après un chapitre 0 de mise en scène historique (de 1795 à 1815) figurent deux grandes parties de trois chapitres chacune : « L’intervention de l’analyse » et « Le théorème fondamental recueille des inventions ». Les auteurs signalent le « fort mouvement en faveur des mathématiques » de la fin du XVIIIe siècle, au moment où Laplace fait sa courte démonstration du théorème fondamental. Tout au long de l’ouvrage, on ne quitte jamais des yeux le monde de l’enseignement, énumérant par exemple les manuels qui ont trait au sujet, détaillant à l’envi les arcanes d’une démonstration, nous faisant vivre « la mathématique des professeurs ».
Dans les deux parties qui suivent, la réflexion se fait plus épistémologique, on étudie la qualité des raisonnements, la faiblesse des méthodes parfois, l’organisation des démonstrations, l’évolution du symbolisme, les passages d’une forme à l’autre de langage mathématique. On suit le cheminement des mathématiciens, leurs luttes intestines parfois, on voit naître le progrès des idées. Sous nos yeux naissent des théories mathématiques, vivent des mathématiciens, certains connus comme Cauchy, Euler, Gauss…, d’autres moins comme Garnier, Picard, Waring…, d’autres encore que nous découvrons : Louis Lefébure de Fourcy, Carl Friedrich Hindenburg ou Daniel Encontre… On croise aussi de vraies surprises mathématiques comme les astuces de calcul de Legendre ou les exemples incongrus de P.-L. Coytier. Le soin apporté à la rédaction, la minutie des recherches historiques, le lien avec le contexte social et intellectuel de l’époque font de ce livre un ouvrage de qualité, non seulement une référence dans son domaine mais aussi le récit minutieux et vivant de la naissance d’un théorème.