Complétez la suite : 1, 2, ? Votre réponse est 3 ? Assez logique, même si bien d’autres progressions peuvent s’envisager. Votre réponse est 4 ? Ne seriez-vous pas en train de couver une nouvelle maladie, la « peur exponentielle » ?
Le thème du nouveau livre de Benoît Rittaud est la perception par l’esprit humain des grands nombres et des fonctions croissantes de son environnement, perception qui crée en lui une angoisse profonde à l’idée de vivre dans un monde trop petit, aux ressources en voie d’épuisement. Le pétrole, et plus généralement l’énergie, sont des exemples significatifs : on extrapole, souvent de façon primaire, les données démographiques, mais pas celles du potentiel humain à découvrir de nouvelles ressources.
Cette peur n’est pas récente. Thomas Malthus envisageait déjà fin XVIIIe un accroissement, exponentiel de la population mais linéaire de la production. Conséquence, il fallait diminuer la population par tous les moyens : réduire la natalité, entrer régulièrement en guerre. Ce que l’on nomme aujourd’hui « malthusianisme » encourage les théories les plus répugnantes : nécessité des guerres, mais aussi xénophobie, ségrégation anti-pauvres, eugénisme… Pourtant, d’autres modèles, comme le « modèle logistique » de Verhulst (peu de temps après Malthus), puis la théorie de l’évolution de Darwin, ont mis en évidence une tendance naturelle à s’adapter à l’environnement. Plus récemment, à partir des années 60, qui marquent une nouvelle ère de croissance, des scientifiques aussi s’y mettent, s’appuyant sur un cadre mathématique destiné à les crédibiliser. James Hansen et ses modèles de prévision des modifications climatiques, le GIEC, King Hubbert et son « pic » du pétrole, et même… la loi de Moore sur la progression des données numériques ! En 1972, année du rapport Meadows sur les limites de la croissance, la préface du livre La bombe P (comme population) est même écrite par deux scientifiques insoupçonnables, Pierre Samuel et Alexandre Grothendieck.
Il n’est pas simple, le chemin du modèle à la réalité. Benoît Rittaud cite l’histoire, racontée par Vitruve, de l’architecte Callias, incapable de construire à l’échelle réelle une machine de guerre dont le modèle réduit avait séduit la cité de Rhodes. Pour la croissance et le PNB, il confronte les prévisions établies dans les années 60 pour l’an 2000 avec la réalité. Rien à voir, dans un sens comme dans l’autre, selon les pays. La solution face à ce défaut de perception ? Prendre du recul avant d’extrapoler une vision locale, mettre des « lunettes logarithmiques », réunir le cercle et la ligne droite pour une vision cyclique, ou tout au moins en spirale.