Les toutes premières pages du dernier roman de Mathias Enard donnent à voir, à une date indéterminée, un soldat en fuite dans la montagne, en quête d’eau, déjà en proie à ses propres démons. Puis le chapitre suivant nous emporte à Berlin, le 11 septembre 2001. Un colloque en hommage à Paul Heudeber est organisé sur une embarcation fluviale. Les deux récits s’entremêlent, l’un écrit sous forme de poème en prose, l’autre permettant de retracer le parcours atypique de Paul Heudeber, mathématicien décédé quelques années plus tôt et auteur des fameuses « conjectures de Buchenwald ». Le lecteur découvre comment l’Histoire a modelé le destin de tous ces personnages, pendant la Seconde Guerre mondiale, puis dans l’Allemagne scindée en deux blocs. Dans cet assez bref roman, Mathias Enard joue avec la poésie des mathématiques, leur vocabulaire, leur mystère et fait entrer en résonnance deux récits où l’humanité est sans cesse rattrapée par l’Histoire et sa barbarie. Si ce n’était pas déjà le cas, voilà une occasion pour les habitués de Tangente de découvrir la plume si particulière de l’auteur de Zone Zone (Actes Sud, 2008), prix Goncourt en 2015.