Un Bêta surexcité déboule dans le réfectoire de l'Institut, où Alpha et Epsilon prenaient jusqu'alors tranquillement leur petit déjeuner. « J'ai gagné ! » s'écrie-t-il en brandissant un coupon plastifié à bout de bras.
Devant le regard incrédule de ses camarades, il s'affale sur une chaise à côté d'eux. « Le concours des céréales Tombapic, explique-t-il d'une voix essoufflée. Vous vous rappelez ? Celui où l'on devait calculer combien de fruits du mont l'Abeur un Khalinou poilu peut transporter jusqu'à la plaine d'Amûr…
– Ah, se souvient Alpha (voir Tangente 168), celui dont Epsilon t'a soufflé la réponse ?
– Oui ! approuve Bêta, imperméable au sarcasme. Eh bien j'ai été tiré au sort et j'ai gagné le premier prix… À nous le weekend tous frais payés sur les monts vénusiens !
– À nous ? s'étonne Epsilon.
– Le prix consiste en un séjour pour quatre personnes. Comme vous m'avez quand même un tout petit peu aidé pour le concours, je me suis dit que c'était normal que je vous en fasse profiter… »
Alors qu'Alpha manque de s'étouffer, Epsilon demande à Bêta :
« Tu as déjà choisi une quatrième personne pour nous accompagner ?
– On pourrait demander au professeur Phi, suggère malicieusement Alpha.
– Tu n'y penses pas ! »
Concerts et soirées endiablées
Bêta lance un regard en direction d'une jeune étudiante assise quelques tables plus loin. « Ça me plairait bien d'emmener Sigma à l'un de ces concerts qui font la réputation des monts vénusiens… Et puis d'aller déguster de la liqueur de fruits du mont l'Abeur dans un bar à la mode.
– Sauf que ce n'est pas ce qui est prévu au programme, fait remarquer Epsilon, qui s'est emparée du coupon d'invitation. On y parle plutôt de randonnée en montagne et de nuit à la fraîche : “Départ à 8 h du matin, casse-croûte sur le chemin, grillade au feu de bois le soir en arrivant au sommet et couchage dans un refuge. Retour le lendemain à 8 h.” »
Alors que Bêta sent son enthousiasme fraîchir lui aussi, Epsilon voit le sien s'aviver. « Vous avez remarqué ? lance-t-elle à ses amis. Il y aura un horaire où nous serons exactement au même endroit le jour de la montée et le jour de la descente. C'est amusant, parce que même si on sait que ce moment existe, on ne peut pas dire quand il se produira ni à quel endroit du parcours.
– Très amusant, marmonne Bêta qui ne trouve rien de drôle à voir s'envoler ses perspectives de soirées endiablées.
– Et d'ailleurs, poursuit Epsilon sur sa lancée, il existe deux façons de s'en convaincre, une plutôt intuitive et une fondée sur un théorème mathématique.
– Le théorème de Rolle ? » croit deviner Alpha, qui a subrepticement lorgné sur la couverture de Tangente.
Et vous, cher lecteur, voyez-vous quels raisonnements permettent d'arriver à ce constat ?
« Ma petite Epsi, soupire Bêta avec une grimace, je me demande si je n'aurais pas mieux fait d'inviter le Professeur Phi à ta place, finalement… »