Les poètes nous parlent de maths…
et réciproquement


Philippe Boulanger et Anne Owens

Les mathématiques et la poésie sont deux manières d'appréhender le monde. Très éloignées ? Pas tant que ça.

 

Poème cherche auteur…

Un mathématicien inconnu a publié en 1921 ce pseudo limerick dans The American Mathematical Monthly :

 

There was a professor of Trinity
Who found the square root of infinity ;
But in counting the digits
He was seized with the fidgets
Dropped Science and took to Divinity.

 

Nous pouvons nous aventurer à traduire (en respectant les rimes aabba) par :

 

Un savant très chanceux par hasard découvrit,
La racine carrée du réel infini,
Mais quand il fut saisi de nerveux tremblements,
En voulant calculer tous ses chiffres éléments
Les maths abandonna pour la théologie.

 

Un lecteur saura-t-il retrouver la trace de l'auteur de ce poème humoristique ?

 

Henri Allorge : géométrie et figures de style

Les trois coniques, l'ellipse, l'hyperbole et la parabole, sont aussi des termes de la rhétorique. 

 

Cela a inspiré le poète français Henri Allorge (1878-1938) :

 

L'ellipse
Collier sur une gorge rose,
Course des planètes aux cieux,
Œuf principe de toute chose,
Binocle au nez des studieux ;
Cuiller des soupes domestiques,
Beau lac où le ciel transparaît,
Médaillon, aux chères reliques,
Miroir d'aïeule, vieux portrait,
Fait qu'aux régions irréelles
Mon cœur gravite, astre fidèle,
Autour des splendeurs éternelles ! 

 

Allorge se plaint dans un autre ouvrage (Petits Poèmes électriques et scientifiques, 1924) des méfaits de la connaissance et du progrès, progrès qu'il a prôné dans ses autres recueils. 

 

Que le monde était grand au temps des forêts vierges,
Des monts inviolés, des plaines sans chemins,
Quand l'inconnu partout assiégeait les humains,
Quand on errait des jours sans rencontrer d'auberges,
Quand les pays inexplorés étaient lointains !
Qu'elle est petite aujourd'hui, notre terre,
Avec tous ses champs cultivés,
Ses montagnes aux flancs crevés,
Ses chétives forêts qui n'ont plus de mystère !

 

Quand Babbage se pique de poésie…

The Engines of Our Ingenuity (« Les moteurs de notre ingéniosité ») est un programme de radio produit conjointement par KUHF, la station de radio de Houston (Texas), la ville de Houston, l'État du Texas et l'université de Houston (États-Unis). 

 

Le rédacteur et présentateur de l'émission, John Lienhard, raconte cette anecdote dans l'épisode 879 :

 

« Le mathématicien britannique Charles Babbage (1791–1871), pionnier de l'informatique, écrivit un jour au poète Alfred Tennyson (1809-1892) pour le féliciter du poème qu'il venait de publier. Cependant il faisait cette remarque : 

“Dans votre poème, par ailleurs très beau, vous écrivez :

 

À chaque moment meurt un homme, À chaque moment naît un homme.?

Si c'était vrai, la population mondiale resterait constante. En vérité, le taux des naissances est légèrement supérieur à celui des décès. Je vous proposerais donc, dans une prochaine édition, de corriger ces vers de la façon suivante :

 

À chaque moment meurt un homme, À chaque moment naît 1 1/16 homme.?

 

Si on voulait être exact, le chiffre réel serait tellement long qu'il ne tiendrait pas sur la ligne, mais je pense que 1 1/16 est une valeur suffisamment précise pour de la poésie.” »

 

 


références

Dossier « Les maths inspirent l'écriture ». Tangente 165, 2015.
Dossier « Maths et poésie ». Tangente 130, 2009.
Les différents épisodes sont disponibles en ligne en anglais.