Élève à l’École polytechnique (promotion 1960), très concerné par des préoccupations politiques et citoyennes, Alain Desrosières (1940‒2013) choisit l’École nationale de la statistique et de l’administration économique pour devenir administrateur de l’Insee en 1965.

 Cette orientation est stimulée par l’effervescence, novatrice sur le plan politique, et créatrice sur le plan intellectuel, qui règne à l’Institut national de la statistique et des études économiques au cours des dix années qui suivent Mai-1968. Les jeunes administrateurs les plus novateurs, parmi lesquels Desrosières joue un rôle moteur, refusent de traiter le chiffre comme une « matière première » neutre, disponible pour différents usages. Ils considèrent que sa mise à disposition n’est pertinente qu’accompagnée d’une réflexion sur les conditions, sociales et techniques, de sa fabrication.

Dès lors, l’analyse de la production du chiffre et de ses utilisations, notamment par l’État, s’est trouvée au centre de ses recherches. Elles ont d’abord porté sur l’influence des nomenclatures sur la constitution de l’information statistique et, à travers elle, sur la structuration de la société (voir son ouvrage Les Catégories socioprofessionnelles, publié avec Laurent Thévenot en 1988 aux Éditions La Découverte). Cette réflexion a pris appui sur des recherches qui ont servi de passeur entre sociologie et statistique et l’ont amené à collaborer avec Pierre Bourdieu.

L’analyse du rôle joué par ces opérations de catégorisation s’est étendue dans une entreprise intellectuelle de grande ampleur visant à retracer, en prenant appui à la fois sur l’histoire politique et sur l’histoire des sciences, la co-production de la statistique, de l’État et de l’économie depuis le XVIIe siècle. Une première synthèse de ces recherches sera publiée en 1993, sous le titre La Politique des grands nombres (La Découverte), ouvrage qui sera traduit en de nombreuses langues.

Son travail sur les statistiques comme outils de connaissance et de gouvernement s’est ensuite orienté vers deux questions d’importance mondiale. D’une part, l’étude d’une transformation des statistiques et des indicateurs qui a consisté à prendre en compte, dans la production même du chiffre, les effets incitatifs de leur publication sur les personnes concernées (benchmarking). D’autre part, l’analyse des effets sociaux et politiques de nouvelles techniques de gouvernance prenant appui sur des expériences (dites « randomisées »), et prétendant dégager les facteurs causaux sur lesquels devrait porter exclusivement l’action des « décideurs », notamment dans la gestion de la pauvreté. Ces derniers travaux ont été publiés dans les deux volumes de l’ouvrage L’Argument statistique, publié en 2008 aux Presses des Mines.

 

 

Références :

• Prouver et gouverner : une analyse politique des statistiques publiques. Alain Desrosières, La Découverte, 2014.

• Mathématiques et géographie. Bibliothèque Tangente 40, 2011.