Évarhistoire, un fil de discussion dédié à la vie de Galois


Olivier Courcelle

Tout n’a pas encore été dit sur Galois, loin s’en faut ! Les nouveaux outils de communication et d’échange via les forums de discussion et les documents qui, chaque jour, sont numérisés et rendus disponibles en ligne permettent de prolonger l’enquête autour de ce fascinant personnage.

 Entre 2018 et 2020, le forum « Histoire des mathématiques » du site les-mathematiques.net a produit un certain nombre d’éléments nouveaux sur la vie de Galois. Tout a commencé par des « Évaristettes », de petites énigmes à caractère souvent mathématique liées à l’œuvre du jeune prodige, régulièrement postées par Norbert Verdier (voir encadré). Sur le même modèle s’est ensuite constitué le fil « Évarhistoire », plus spécifiquement dédié à de petits mystères biographiques, cette fois. Ces deux initiatives répondaient au principal objectif de l'Association des amis d’Évariste Galois, alors tout juste fondée à l’initiative de la famille, en l’occurrence « mieux connaître et mieux faire connaître la vie et l’œuvre d’Évariste Galois ».

 

Les Évaristettes, petites énigmes galoisiennes

Le fil Évaristette, animé par Norbert Verdier sur le site les-mathématiques.net, a été actif de juin 2018 à juin 2019. Voici un exemple de problème en rapport avec les recherches de Galois en mathématiques (« évaristette » de septembre 2018) :
« Galois est considéré comme l’initiateur de la théorie des groupes. En tout cas, le groupe des permutations des racines d’une équation est au cœur de sa théorie. Soit G le groupe de toutes les permutations des entiers de 1 à n. On sait qu’il peut être engendré par n - 1 transpositions, c’est dans tous les livres. Mais sauriez-vous montrer qu’il ne peut être engendré par n - 2 transpositions ?
Supplément : trouver une condition nécessaire et suffisante pour qu’un ensemble de

n - 1 transpositions engendre G. »

 

Du côté des élèves

En guise d’apéritif, ce fil Évarhistoire s’ouvrait sur des questions liées aux deux tentatives infructueuses de Galois pour entrer à l’École polytechnique : quand et où a-t-il été examiné ? En 1828 et 1829, certes, mais encore ? À l’époque, les examens s’ouvraient à Paris le 1er août à 9 h du matin dans l’une des salles de l’Hôtel de Ville. Et quel élève particulièrement célèbre au regard même de l’histoire de l’École a-t-il été reçu l’une de ces deux années-là ? Louis Vaneau (1811‒1830), qui a perdu la vie durant les Trois Glorieuses, à la tête d’un groupe d’insurgés. Les élèves lui rendent encore hommage chaque 14 juillet. Autre reçu devant Galois, Auguste Bravais, un futur cristallographe, qui par une belle ironie de l’histoire laissera son nom en théorie des groupes.
Les personnes qui ont côtoyé Galois ont pu laisser des témoignages encore inconnus le concernant, raison pour laquelle une première étape importante consiste à les identifier. De ce point de vue, les condisciples de Galois à l’École préparatoire/normale sont plus prometteurs que les candidats reçus à l’École polytechnique. Grâce à divers intervenants du Forum, et notamment cidrolin, Norbert ou encore Math Coss, la liste des soixante-dix élèves qui ont fréquenté l’établissement en même temps que Galois a été établie. La plupart ont mené les carrières que l’on imagine : professeurs en collège, en lycée ou à l’université, avec évolution possible vers des fonctions de censeur, de proviseur, de doyen, d’inspecteur ou de recteur – ne manque qu’un ministre ! D’autres toutefois ont connu des destins plus singuliers, à l’instar d’un certain Montonnier qui, après s’être distingué dans l’enseignement en frappant ses élèves, est devenu marchand de bois...

 

Le cercle familial

L’entourage familial constitue aussi une cible évidente pour la quête d’archives. L’existence d’un journal intime tenu par la sœur d’Évariste, par exemple, est attestée, bien qu’il ait disparu depuis. Une enquête a montré que cette sœur avait eu une fille, puis une petite-fille et une petite-fille adoptive. Des partitions de musiques composées par la première ont été retrouvées et des descendants de la seconde ont été contactés – pour diverses raisons, les éventuelles archives familiales restantes sont aujourd’hui difficiles d’accès. La date de la mort de la sœur d’Évariste, Nathalie Théodore Galois épouse Chantelot, a donné du fil à retordre mais, à force d’opiniâtreté, elle a été déterminée (26 janvier 1881). Une reconnaissance de terrain opérée par cidrolin a montré qu’elle est enterrée au cimetière du Montparnasse, « à quatre pas » de l’actrice Mireille Darc ! L’exploration des archives funéraires a révélé que vingt personnes ont été enterrées avec Galois en fosse commune du cimetière du Montparnasse le jour de son inhumation. La consultation des registres nous apprend d’autre part que, à cette époque précise, la fosse commune était la règle plus que l’exception. Dans le même esprit, un autre intervenant, anqian, a pu retrouver la tombe de Pecheux d’Herbenville, l’adversaire en duel de Galois, au cimetière du Père-Lachaise.

 

Les amis militants

Le fil Évarhistoire s’est ensuite intéressé aux camarades militants de Galois, et plus particulièrement aux membres de la Société des amis du peuple, dont il faisait lui-même partie. Deux-cent cinq ont été identifiés ! La lecture de la presse de l’époque a donné lieu, au passage, à plusieurs découvertes remarquables, et notamment deux lettres inconnues d’Évariste (voir ci-dessous). La correspondance aujourd’hui recensée du mathématicien est tellement maigre qu’une telle exhumation constitue un petit évènement ! Un article découvert par anqian a également permis de... préciser le contexte éthylique du célèbre banquet des Vendanges de Bourgogne, au cours duquel Galois porta le toast régicide qui lui valut sa première arrestation.
Selon cette source (Journal du Commerce, 23 mai 1831), le principal intéressé « but, outre sa bouteille de vin, celle d’un voisin qui ne buvait que de l’eau ». On essaya de le faire sortir mais il revint aussitôt. Il ne fut d’ailleurs pas le seul à avoir trop arrosé son repas. Le journaliste rapporte que « les plus échauffés » traversèrent Paris en dansant et en chantant (braillant ?) force chants révolutionnaires.

 

Deux nouvelles lettres de Galois publiée dans la presse

La numérisation des anciens journaux ces dernières années rend plus facile la recherche de nouveaux éléments concernant la vie d’Évariste Galois. Deux lettres rédigées depuis la prison Sainte-Pélagie et publiées dans la presse de l’époque ont ainsi été exhumées.
La première, signée de plusieurs prisonniers, Galois en tête, est une plainte concernant les conditions de détention. On peut la lire dans La Tribune des départements du 3 juin 1831.
La seconde, parue le 5 décembre 1831 dans le journal saint-simonien Le Globe alors dirigé par Michel Chevalier, le frère d’Auguste, répond à une note publiée la veille par le même journal, faisant état de la condamnation définitive de Galois pour port illégal d’uniforme. « Je vous remercie, monsieur, des louanges que vous m’y prodiguez ; mais je dois vous rappeler en même temps que rien ne nuit plus qu’un éloge non mérité. Je relèverai surtout cette expression : “Celui qui si jeune a enrichi le domaine de la science.” Vous plus que tout autre, M. le rédacteur, vous devez savoir que ce n’est pas dans l’organisation actuelle qu’il est permis à la science de s’enrichir des travaux des hommes de vingt ans. Et j’aurais dépassé le cercle actuel de la science (ce que je n’ai pas le ridicule de croire), que ni les savants ni les sciences n’en sauraient rien. Peut-être, monsieur, les mois de captivité que je vais subir me seront-ils une occasion de publier sur la science à laquelle j’ai voué mes veilles des travaux jusqu’ici volontairement ignorés. Puissé-je ainsi faire profiter à un progrès, quoique imperceptible, les persécutions de ceux qui semblent appelés à enrayer toute espèce de progrès.
La même note contient aussi une assertion que je relèverai, quoique l’autorité y soit accusée ; car justice est due à tout le monde, même à ceux qui ne le font pas. Vous vous êtes trompé en supposant que l’on jette les détenus politiques au milieu de misérables remplis pour la plupart de vices et de corruptions. Non, monsieur, l’autorité n’a pas encore eu l’immoralité de le faire. Elle a pris soin, du reste, de réunir à Sainte-Pélagie une fort bonne société. Et, n’était la réunion des carlistes, les patriotes pourraient avec raison, et suivant l’expression pittoresque d’un de mes compagnons d’infortune, M. Thouret, comparer ce séjour à un véritable Champ d’Asile. »