Cauchy le poète


Benoît Rittaud



Bien que son nom ne résonne à nos oreilles que comme celui d’un mathématicien, Cauchy était aussi un homme d’une solide culture classique. Celui qui fut distingué dans les épreuves littéraires du concours général s’est même essayé à la poésie pour expliquer l’intérêt de sa science.

L’Épître d’un mathématicien à un poëte est l’œuvre poétique principale de Cauchy. Lue lors d’une séance publique des cinq Académies, sa qualité littéraire honorable désarçonna, selon l’éloge publié par Joseph Bertrand en 1898, tous ceux qui espéraient savourer la joie mauvaise de voir un grand mathématicien sombrer dans le ridicule.

 

Éternelles questions

Bien des mathématiciens peuvent reconnaître dans les vers de Cauchy des considérations qui leur sont familières. Ainsi de l’éternelle question sur l’utilité des mathématiques :

Tu me crois obsédé par un mauvais génie,

Alcippe, tu te plains de l’étrange manie

Qui fait qu’en ma maison devenu prisonnier,

D’un flot d’x et d’y grecs je couvre mon papier.

Laisse-là, me dis-tu, l’Algèbre et ses formules,

Laisse-là ton compas, laisse-là tes modules ;

C’est un emploi bien triste et des nuits et des jours

Que d’intégrer sans fin et de chiffrer toujours.

Apprendrons-nous du moins à quoi servent tes veilles,

Ce qu’elles produiront d’étonnantes merveilles,

Et si de tes calculs le magique pouvoir

Doit calmer au matin les tristesses du soir ?

 

Prolongeant cette critique commune, Cauchy fait alors faire à son poète l’éloge des questions purement appliquées :

Vois ce vieux financier, sans cesse à son comptoir.

Il revient supputer son doit et son avoir.

D’enchérir sur Euclide il n’a point la folie ;

Il ajoute, soustrait, divise ou multiplie,

Et, de Barème seul écoutant la leçon,

Laisse dormir en paix Descartes et Newton.

 

En passant, la dernière rime laisse entrevoir qu’en France au temps de Cauchy le nom du fondateur de la théorie de la gravitation universelle pouvait se prononcer en finissant par « -ton » et non par « -tonne » ! De façon moins anecdotique, le rapprochement entre Newton et Descartes a pu paraître significatif à son auditoire. Celui-ci a sûrement alors en tête la grande controverse entre cartésiens et newtoniens sur la forme de la Terre, au XVIIIe siècle. 

Sans doute pour se faciliter cet exercice délicat de défendre la science par la poésie, Cauchy concentre principalement son propos sur l’astronomie, une science qui, il est vrai, est encore à son époque principalement du ressort des mathématiciens. Après avoir déroulé diverses splendeurs célestes, le fervent croyant qu’est Cauchy ne manque pas l’occasion de conclure en honorant le créateur de toutes ces merveilles :

Mais à des spectacles pareils

Mon esprit se confond ; je me tais et j’adore

Celui dont le nom glorieux

Se lit en traits si doux sur les feux de l’aurore

Et sur le pavillon des cieux.