L’Encyclopédie en ligne des suites de nombres entiers (en abrégé, OEIS), créée et administrée par l’Américain Neil James Alexander Sloane avec l’aide du Franco-Canadien Simon Plouffe, est une mine d’objets mathématiques fascinants. Vous y trouverez bien sûr les puissances de 2, les suites de Fibonacci, le décompte des trajets possibles d’une tour aux échecs qui veut se rendre en n mouvements d’un coin de l’échiquier au coin diagonalement opposé… Aujourd’hui, attachons-nous plutôt à des constructions plus insolites, abstraites et surprenantes : les suites « qui se décrivent elles-mêmes ». En hommage à l’écrivain français Georges Perec (1936–1982), membre fondateur de l’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo) qui savait se jouer des contraintes, voici le début de la suite de Perec : P = 5, 7, 1, 11, 2, 1, 3, 13, 2, 2, 1, 3, 12, 13, 0, 7, 1, 3, 11, 1, 5, 41, 12, 0, 7, 1, 5, 11, 2, 1…
« Traduite » en français (et en majuscules), cela donne :
P = CINQ, SEPT, UN, ONZE, DEUX, UN, TROIS, TREIZE, DEUX, DEUX, UN, TROIS, DOUZE, TREIZE, ZÉRO, SEPT, UN, TROIS, ONZE, UN, CINQ, QUARANTE ET UN, DOUZE, ZÉRO, SEPT, UN, CINQ, ONZE, DEUX, UN…
Faisons comme Perec dans son ouvrage la Disparition (Gallimard, 1989), rédigé sans faire le moindre usage de la lettre « e » : supprimons toutes les lettres « e » de P (et remplaçons-les par une barre verticale). On obtient :
P = CINQ, S|PT, UN, ONZ|, D|UX, UN, TROIS, TR|IZ|, D|UX, D|UX, UN, TROIS, DOUZ|, TR|IZ|, Z|RO, S|PT, TROIS, ONZ|, UN, CINQ, QUARANT| |T UN, DOUZ|, Z|RO, S|PT, UN, CINQ, ONZ|, D|UX, UN…
On voit apparaître une succession de blocs de lettres dont les tailles successives sont données… par la suite de Perec elle-même ! La taille des blocs figure ici entre parenthèses à la place des barres verticales :
P = CINQS(5)PTUNONZ(7)D(1)UXUNTROISTR(11)IZ(2)D(1)UXD(3)UXUNTROISDOUZ(13)TR(2)IZ(2)Z(1)ROS(3)PTTROISONZ(12)UNCINQQUARANT(13)(0)TUNDOUZ(7)Z(1)ROS(3)PTUNCINQONZ(11)D(1)UXUN…
Un bloc de taille zéro est possible : dans le nombre 41 (« quarante et un »), il n’y a aucune lettre entre les deux « e ».
On peut construire une infinité de telles suites de Perec :
Q = HUIT, SIX, DEUX, SIX, SEIZE, UN, DIX, DEUX…
Q = HUIT, SIX, D(8)UX, SIX, S(6)IZ(2), UN, DIX, D(6)UX…
Des questions souvent difficiles
De telles suites, très spectaculaires quand elles sont présentées à des amateurs de jeux mathématiques, n’attendent que votre imagination pour se dévoiler ! La lettre « e » a servi ici de séparateur, mais d’autres choix auraient pu faire l’affaire. Voici par exemple une suite où le délimiteur doit être placé immédiatement derrière la lettre « u » :
R = 1, 6, 8, 5, 8, 9, 3, 8, 5, 9, 8, 5, 8, 9, 3, 9, 3, 8, 9, 3, 8, 5, 9…
Ou encore :
R = UN, SIX, HUIT, CINQ, HUIT, NEUF, TROIS, HUIT, CINQ, NEUF, HUIT, CINQ, HUIT, NEUF, TROIS, NEUF, TROIS, HUIT, NEUF, TROIS, HUIT, CINQ, NEUF…
puis
R = U|N, SIX, HU|IT, CINQ, HU|IT, NEU|F, TROIS, HU|IT, CINQ, NEU|F, HU|IT, CINQ, HU|IT, NEU|F, TROIS, NEU|F, TROIS, HU|IT, NEU|F, TROIS, HU|IT, CINQ, NEU|F…
Cette suite est, d’une certaine manière, autodescriptive, et en tout cas autoréférente. Une telle suite est-elle infinie ? S’arrête-t-elle ? Est-elle susceptible d’entrer dans une boucle ? Les réponses à ces questions sont souvent difficiles… Bon amusement !