Afin de rendre plus festive la fin de l’année à l’Institut intergalactique, le proviseur Lambda a autorisé l’installation, à proximité du campus, d’une fête 4N, avec tout son lot d’attractions plus ou moins génératrices d’émotions fortes. À l’instar de leurs camarades étudiants, Alpha, Bêta et Epsilon ne se sont pas fait prier pour goûter aux joies de montagnes russes aux descentes vertigineuses, de navettes tamponneuses aux chocs élastiques, de tape-taupins aux marteaux en K-outchouc et de beignets gras et sucrés au pouvoir calorique absolu.
« J’ai un peu mal au cœur, finit par confesser Bêta après avoir enchaîné ces activités dans le désordre. Ça vous dirait de faire une pause ?
‒ Bonne idée, enchaîne Epsilon, c’est tellement bruyant par ici entre les cris et la musique que j’en ai les oreilles qui bourdonnent.
‒ Je crois que j’ai trouvé l’activité qu’il nous faut ! s’exclame Alpha, qui compulsait le dépliant listant les attractions. Quelque chose de calme, et sans impact sur nos oreilles internes comme externes. Suivez-moi ! »
Un jeu à vingt bâtonnets
Les trois jeunes gens se retrouvent bientôt dans une zone un peu à l’écart du cœur de la fête, devant une grande façade en carton-pâte aux couleurs passées représentant un hôtel miteux dont le réceptionniste, arborant regard louche et rictus tordu aux dents gâtées, semble s’être fixé pour objectif premier de ne surtout pas inspirer confiance.
« Venez, approchez ! invective-t-il les trois amis. Je m’appelle Jean-Pascal, et je vous invite à relever le défi de mon maître, Monsieur Effon-Pleurt, l’illustre propriétaire de l’hôtel du même nom, afin de quitter ces lieux couverts de gloire.
‒ Chic, un hôtel fantôme, s’exclame Bêta. En quoi consiste le défi ?
‒ À sortir de l’hôtel vivants, bien sûr, ricane l’édenté. Mon maître a parié que si quelqu’un parvenait à quitter l’édifice en résolvant la dernière énigme, il lui rembourserait les cinq brouzoufs que coûte l’entrée. »
Le pari est accepté, et voilà nos amis engagés dans un labyrinthe poussiéreux parsemé de miroirs déformants, de souffleries intempestives, de toiles d’araignée géantes et de rires caverneux. Aux détours de leurs déambulations, ils découvrent, sans surprise, que le propriétaire de l’hôtel Effon-Pleurt n’est autre que le réceptionniste Jean-Pascal. La dernière énigme leur est proposée par un automate à son effigie enfermé dans une vitrine aux miroirs piqués.
Vingt bâtonnets sont disposés devant l’automate, qui propose d’une voix lugubre : « Chacun à notre tour, nous devrons choisir de retirer un, deux ou trois bâtonnets. Celui qui ne pourra plus se servir périra. Choisissez qui de vous ou de moi va commencer.
‒ Je connais ce jeu ! s’exclame Bêta. Il s’agit de l’un des jeux mortels du père Bourras (voir Tangente 186, 2019), je sais comment être sûr de gagner. Je vais commencer !
‒ Attention ! s’exclame Alpha. Dans le jeu du père Bourras, prendre le dernier bâton faisait perdre, alors qu’ici, il fait gagner.
‒ Tu as raison, admet Bêta, je vais laisser l’automate commencer et adapter ma tactique. »
Aussitôt ce choix validé, l’automate ajoute : « Règle importante : les bâtonnets enlevés doivent être adjacents. Si le retrait d’un bâtonnet crée deux tas séparés par un espace, le joueur suivant ne pourra prélever ses pièces que dans l’un d’entre eux. »
Bêta joue à la suite de l’automate et, contrairement à toute attente, et alors qu’il pensait être sûr de sa stratégie, il perd, dans une explosion de lumières. Nos trois amis se retrouvent à l’extérieur, bien vivants mais délestés de leur brouzoufs, sous le regard goguenard de Jean-Pascal.
« Pas de regret, Bêta, le réconforte Epsilon, je sais comment JP s’est arrangé pour ne jamais perdre son pari. »
Cher lecteur, avez-vous une idée de la stratégie adoptée par le machiavélique propriétaire des lieux ?