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À bord du Bertrand Russell

Kylie Ravera




L’Institut intergalactique est le temple de l’excellence, où exerce le redouté professeur Phi. Une croisière mouvementée est l’occasion de réfléchir à une énigme logique.

ÉNONCÉ

Bêta aurait pourtant dû se douter qu’il y avait anguille sous roche : remporter le premier prix du loto de l’Institut intergalactique proposé par le directeur Lambda ne pouvait que réserver des surprises, surtout en sachant que le professeur Phi faisait partie du comité d’organisation.

Une « croisière tout compris à bord du Bertrand Russell » : voilà l’intitulé du lot qui semblait promettre à l’heureux élu quelques jours de farniente à bord d’un paquebot de luxe, les doigts de pieds en éventail sur un transat baigné de soleil, en sirotant de délicieuses boissons rafraichissantes au moyen d’une paille surmontée d’un palmier en carton.

La réalité a heurté Bêta de plein fouet et en pleine figure, à la façon des paquets de mer que la tempête fait s’abattre sur le petit voilier barré par le capitaine A. Bandonnay. Ce dernier se trouve être un ami du professeur Phi, et c’est certainement cet aspect de l’expérience, plus que le mal de mer et ses doutes sur le fait d’arriver à bon port, qui chagrine le jeune homme.

« Alors, mon garçon, avait déclaré sans préambule le capitaine quand Bêta était monté à bord de la coquille de noix, si un barbier a l’obligation de raser tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes et uniquement ceux-ci, qui rase le barbier ? »

Cette question sans réponse aurait pu être un hommage isolé au mathématicien qui avait donné son nom au voilier, en référence à son célèbre paradoxe, mais au fil de l’eau et de la conversation, les références à une variété d’énigmes mathématiques et logiques se sont multipliées au point de finir de submerger le cerveau de Bêta, autant que les vagues le Bertrand Russell.

« Si Epiménide le Crétois dit que tous les Crétois sont des menteurs, que sont-ils vraiment ? Et si Achille qui poursuit la tortue doit parcourir d’abord la moitié du chemin qui l’en sépare, puis la moitié du chemin restant, puis encore la moitié, et ce une infinité de fois, peut-il réellement la rattraper ? »

 

 

 

Autant en emporte le courant

 

Le déjeuner de Bêta file par-dessus bord sans demander son reste. Un vague instinct de survie le pousse à se raccrocher à la seule perche qu’il voit se dessiner : « Ces énigmes sont des classiques, déclare-t-il en gémissant, et mon amie Epsilon, qui est fan de Gardner, de Stewart et de Smullyan, me les a déjà racontées cent fois. Pour vraiment détourner mon attention de mon mal de mer, il m’en faudrait une nouvelle capable de focaliser ma réflexion.

‒ J’ai quelque chose en stock, s’exclame aussitôt le capitaine sans cesser d’écoper. Cette question résulte d’un constat que j’ai fait moi-même à l’époque plus paisible où je promenais des touristes sur un fleuve à bord de ma péniche. J’effectuais un aller-retour chaque jour, en partant dans le sens du courant et en revenant à contre-courant. Un jour, le courant a été plus fort que d’habitude (on suppose qu’il était toujours constant sur la durée du trajet). À ton avis, moussaillon, est-ce que j’ai mis plus de temps ou moins de temps que les autres fois ce jour-là pour effectuer ma rotation ? »

La réponse semble d’abord évidente à Bêta, mais il décide d’y réfléchir plus avant pour oublier son mal de mer. Jusqu’à se rendre compte de son erreur…

Et vous, cher lecteur, que répondriez-vous au Capitaine A. Bandonnay ?

 

 

SOLUTION