Malgré le passage des siècles, il arrive encore parfois que des archéologues persévérants découvrent, au cours de leurs recherches sur la Vieille Terre, des trésors restés enfouis pendant des années.
À l’Institut intergalactique, Bêta est connu pour son amour des objets antiques (hérité de son papy Askilman) et suit avec assiduité toute actualité concernant sa passion.
Son intérêt ne manque donc pas d’être éveillé lorsque le Réseau Social, grand pourvoyeur d’informations vérifiées avec la rigueur adéquate, annonce la découverte d’un étrange objet d’une inestimable valeur : un plateau en marbre sur lequel se dressent trois longues aiguilles en diamant, l’une d’entre elles enfilant soixante-quatre disques d’or percés en leur centre. Les 26 disques sont tous de diamètre différent, offrant à la structure un aspect pyramidal.
Une histoire croustillante, consignée sur un vieux parchemin que la chance a conservé, accompagne la découverte. Et comme toute histoire croustillante, elle mérite d’être partagée avec Alpha et Epsilon, les deux meilleurs amis de Bêta.
« Cet objet aurait été fabriqué par un maharadjah hindou du nom de Brahma, explique le garçon, sur les ordres d’Anh Hoï, une jeune servante venue d’une contrée lointaine, dont il était tombé follement amoureux et qu’il tentait de séduire. Elle lui aurait demandé ce coûteux présent, pensant qu’il découragerait le maharadjah, mais cela n’a pas suffi, semble-t-il, puisque l’amoureux transi a mobilisé ses meilleurs joailliers pour satisfaire sa requête. Anh Hoï aurait alors accepté de s’unir avec son soupirant, mais seulement une fois qu’il aurait fait passer tous les disques d’une aiguille à une autre, en respectant les règles suivantes :
- seul un disque peut être déplacé à la fois entre deux aiguilles ;
- un disque ne peut être déposé que sur le socle en marbre ou sur un disque plus grand.
Le maharadjah a relevé le défi, mais… »
Bêta fait une moue dépitée.
« Le parchemin se termine là ; nous n’aurons sans doute jamais le fin mot de l’histoire…
– Je pense qu’elle ne se termine pas comme le prince l’aurait souhaité, sourit Epsilon.
– Pourquoi dis-tu ça ?
– Imagine qu’au lieu de soixante-quatre disques, tu n’en aies que trois. Combien de mouvements au minimum dois-tu effectuer pour faire passer tes disques d’une aiguille à une autre ? »
Le problème est rapidement résolu par Bêta.
« Il me faut sept mouvements.
– Bien. Un peu de théorie, maintenant. Si pour déplacer n disques tu as besoin de M(n) mouvements, pour déplacer n + 1 disques, il va te falloir :
• déplacer n disques vers l’aiguille du milieu en M(n) mouvements ;
• déplacer le plus grand disque vers la troisième aiguille en un mouvement ;
• déplacer n disques de l’aiguille du milieu vers la troisième aiguille en M(n) mouvements.
Si l’on suppose que chaque mouvement prend une seconde…
– Je crois que je commence à voir où tu veux en venir, murmure Alpha.
– Moi aussi, grogne Bêta, on a beau commencer avec une histoire d’amour, ça se termine toujours en exercice de maths avec toi…
– Du point de vue d’Anh Hoï, ce n’était pas une histoire d’amour ! réplique Epsilon. Mais si tu poursuis le raisonnement jusqu’au bout, cela t’évitera peut-être de tomber un jour dans le même piège que le maharadjah. »
Et vous, cher lecteur, voyez-vous quel piège a été tendu par Anh Hoï à Brahma ?