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Le problème des trois corps

Kylie Ravera




L'Institut intergalactique est le temple de l'excellence, où exerce le redouté professeur Phi. Il fut un temps où les élèves indisciplinés étaient embastillés et utilisés comme cobayes?

Il arrive parfois qu’un élève étourdi se perde à contempler au plafond les tribulations d’une mouche pendant un cours donné par le professeur Phi. Ou que tel autre maladroit, d’un geste incontrôlé, fasse dans la classe tomber avec fracas une règle ou un compas. Ou bien encore qu’un bâillement mal étouffé interrompe l’enseignant de l’Institut intergalactique alors qu’il dévoilait à ses étudiants un secret mathémagique. Autant de circonstances qui conduisent l’intransigeant professeur à stopper net son monologue pédagogique pour embrayer sur une leçon de choses dont ses ouailles se seraient en général bien passé.

 

Au cachot, avec des chaînes et du pain rassis

 

Peu importe qu’une mouche, une règle ou la digestion d’un cassoulet fût à l’origine de cette histoire. Voici ce qu’a raconté Phi ce jour-là en déambulant parmi les tables avec férocité :

« Vous rendez-vous compte de la chance qui est la vôtre, d’être nés en cette époque de mansuétude où la loi du campus interdit que l’on attente à votre intégrité physique alors même que vous commettez un crime en n’accordant pas à mon cours l’attention qu’il mérite ? Apprenez que vos prédécesseurs qui avaient le malheur d’interrompre le flot d’un enseignant se voyaient expédiés dans un cachot – un vrai, avec des chaînes, du pain rassis et un seau. Pis, en perdant leur statut d’étudiant, ils pouvaient perdre la vie.

Il exagère, là, non ? » souffle Bêta à sa camarade Epsilon. Avant qu’un regard d’acier ne le cloue au pilori.

« Vous doutez ? Vous avez tort. Et je vous le prouve céans. Il fut un temps où l’Institut demandait pour frais d’inscription une caisse de vins fins à la famille de chaque postulant. (Le proviseur d’alors mourut d’une cirrhose, mais vous enjoindre à la tempérance n’est point ici mon propos.) Cette année-là, mille caisses furent reçues, tout comme l’annonce que l’une d’entre elles contenait exclusivement un breuvage frelaté dont l’ingestion, même à dose très réduite, conduirait à une issue aussi soudaine que fatale douze heures après. L’administration ignorait cependant quelle caisse était maudite et ne pouvait se résoudre à faire l’impasse sur tant de nectar pour un peu de poison. D’autant qu’elle disposait de cobayes parfaits en les personnes de dix étudiants déchus croupissant au cachot pour des crimes qui feraient ricaner la jeunesse nonchalante d’aujourd’hui. »

Dans la salle, personne ne ricane ni ne moufte, pas même la mouche qui s’est faite si discrète qu’on ne l’entend plus voler.

« L’éminent professeur qui officiait à ma place et maîtrisait la logique comme on peut l’attendre de sa fonction suggéra de faire goûter aux embastillés un mélange adéquat de vins prélevés dans des bouteilles à la fois témoins et suspectes afin de voir ce qu’il adviendrait. Douze heures plus tard, trois corps étaient découverts dans les cachots de l’Institut et le flacon coupable ainsi que sa caisse d’appartenance, identifiés. Cela clôt mon histoire. Maintenant, faites silence en mémoire de vos infortunés camarades et revenons-en à nos moutons, soit au problème de trois autres corps, ceux de Poincaré. »

 

Ce n’est qu’à la sortie du cours que Bêta ose interroger Epsilon : « Mille bouteilles, une empoisonnée, dix étudiants-cobayes et une seule dégustation, pour finir avec trois morts qui suffisent à trouver la solution : tu y crois, à cette histoire ?

Si tu parles des faits, je dirais qu’elle est improbable. Mais mathématiquement réaliste, et pour le professeur Phi, c’est le plus important. »

 

Et vous, chers lecteurs, sauriez-vous décrire la procédure qui a permis au prédécesseur du professeur Phi de déterminer en douze heures quelle bouteille parmi les mille testées contenait le poison ?

 

 

 

Verre et bouteille. Henri Laurens, 1919.

 

 

 

SOLUTION