Godin, touche-à-tout de génie
Né en 1817 dans le nord de l'Aisne, Jean-Baptiste André Godin apprend le travail des métaux comme serrurier. Après un tour de France complétant sa formation, il crée en 1837 une entreprise de fabrication de poêles en fonte dont le succès lui permet de se lancer dans la réalisation de son Palais social, le Familistère de Guise. Les travaux de cette unité d'habitation collective réservée à ses employés commencent en 1858. C'est sans architecte professionnel que Godin va réaliser la conception de tous les bâtiments !
Godin précise le choix des dimensions des trois pavillons du Familistère. Rien n'est laissé au hasard. On dépasse ici les raisons esthétiques ou les hypothétiques utilisations du nombre d'or pour des proportions harmonieuses. Les choix obéissent à des critères de salubrité, l'exiguïté des rues et des cours intérieures étant alors remise en question par les hygiénistes, qui préconisent une hauteur de bâtiment au moins égale à la largeur de la rue.
Les dimensions des pièces et leur aménagement sont aussi réfléchis selon des critères géométriques simples : « Les portes sont placées à distance d'un angle du fond de la pièce, de façon à ce qu'un grand lit puisse être placé, autant que possible, en deux sens différents, dans chaque chambre, avec sa table de nuit au chevet, et que la porte, placée au-delà du lit, soit toujours assez distante de l'autre angle de la chambre pour laisser place à un meuble. » Godin donne ensuite dans son livre Solutions sociales (Éditions du Familistère, 2010) les résultats de ses calculs d'optimisation dans ce cadre.
Il justifie l'intérêt du logement collectif par un calcul simple. Si les logements et les bâtiments du Familistère étaient « convertis en file de maisons à rez-de-chaussée, […], ces bâtiments auraient un développement de 2 200 mètres et la population serait disséminée sur une étendue de deux à trois kilomètres en tout sens ».
Un ensemble pensé dans l'intérêt des enfants
« Les galeries, du mur à la balustrade, ont une largeur de 1,30m. La balustrade a en hauteur 1m ; les barreaux sont ronds, droits et espacés à 0,12 m les uns des autres ; aucun enfant ne peut ainsi passer la tête entre ces barreaux, ni monter sur la balustrade. »
Les escaliers devaient avoir une forme semi-circulaire car « elle est la plus commode pour tous les âges de la population ; du côté de la rampe, le jeune enfant trouve des marches étroites qu'il gravit en se tenant aux barreaux, et les grandes personnes, du côté opposé, trouvent ces marches plus larges et plus convenables pour leurs pas ». Les dimensions des marches obéissent aussi aux formules de Blondel, qui tiennent compte de la longueur moyenne du pas d'un homme, du giron et de la hauteur des marches.
Au cœur du Familistère se trouve une école gratuite, laïque, mixte et obligatoire jusqu'à 14 ans. Godin n'hésite pas à se lancer dans une étude statistique des mensurations les plus diverses des enfants pour construire un mobilier scolaire adapté. D'ailleurs, sa femme mettra elle-même au point une méthode d'enseignement du calcul aux plus jeunes enfants, l'arithmétique étant considérée comme une discipline essentielle au Familistère.
La lumière : un des équivalents de la richesse
La lumière est un élément clé de l'hygiène des bâtiments et fait partie de ce que Godin appelle « les équivalents de la richesse », qui doivent être équitablement répartis entre les habitants. Ainsi, les fenêtres rétrécissent en montant dans les étages : la lumière est abondante dans les hauteurs alors qu'il faut compenser, au rez-de-chaussée, l'ombre portée par les coursives. Godin fournit dans son ouvrage principal toutes les dimensions des ouvertures, car il lui a paru « utile de rassembler ces données principales qui, quoique très simples en apparence, peuvent éviter bien des recherches à quiconque voudrait aborder sérieusement l'étude de la réforme architecturale de l'habitation humaine, dans l'intérêt du progrès social ».