Des courbes tracées à la main


Élisabeth Busser

Les successeurs d'Euclide ont inventé une ribambelle d'appareils, parfois sophistiqués, pour tracer des courbes.

Le pistolet

Comment oublier ses formes harmonieuses ? Certains l’appellent pistolet, d’autres perroquet, les Anglo-Saxons le nomment French curve (« courbe française »). Il s’agit d’un petit instrument de dessin « à la main », sans aucune mécanique, utile aussi bien aux dessinateurs qu’aux couturières, permettant de tracer des courbes élégantes.

En métal, en plastique ou en bois, comme l’ensemble de trois pièces dû au géomètre allemand Ludwig Ernst Hans Burmester (1840 - 1927) présenté ici, il sera utilisé, pour la pièce du haut, à tracer des paraboles, pour celle du milieu, des ellipses et, pour celle du bas, des hyperboles. Les morceaux de ces courbes, aux dimensions variées, sont raccordés de façon continûment différentiable le plus harmonieusement possible.

Ensemble de pistolets.

 

L’harmonographe

Un mécanisme de tracé relativement élaboré est l’harmonographe, « croisement entre un secrétaire et une pendule de grand-père », comme le dit si bien Alex Bellos dans son ouvrage Alex et la Magie des nombres (Robert Laffont, 2015).

 

 

Cet appareil mécanique permet, à l’aide des oscillations de deux pendules et d’un système de tringles relié à un crayon, de tracer sur une feuille de papier des courbes résultant de la composition des mouvements de ces pendules, l’un qui déplace le stylo en va-et-vient le long d’un axe D1, l’autre qui déplace la feuille également en va-et-vient le long d’un axe D2 perpendiculaire à D1, chacun ayant pour équation du mouvement, en fonction du temps t, x(t) = A sin(t f + p) e dt, où f est la fréquence, p l’angle de phase et d un facteur de frottement. Le premier de ces appareils, imaginé par Bailie Hugh Blackburn (1823 − 1909), est apparu en 1879 dans un ouvrage de vulgarisation scientifique. Il s’est depuis largement répandu, surtout comme jouet pour les enfants, et a vu naître de nombreuses variantes. Les courbes qu’il trace, selon la fréquence et la synchronisation des pendules, peuvent être des ellipses, des spirales, ou, plus spectaculaires, des courbes de Lissajous.

 

L’album Harmonograph du groupe britannique False Lights (Wreckord Label, 2018).

 

 

Le spirographe

Cet instrument de dessin n’est rien d’autre qu’un jeu, destiné à tracer de jolies courbes. Son nom est aujourd’hui une marque déposée (Hasbro, 1998), mais le peintre et mathématicien allemand Albrecht Dürer (1471 − 1528) a déjà décrit ces courbes en 1525.

L’appareil est fait de roues dentées munies de trous pour pouvoir y fixer un crayon, qui peuvent rouler à l’intérieur d’anneaux, dentés eux aussi. Le dessinateur met en branle le système en faisant tourner la roue avec son crayon, pour produire des formes enchevêtrées (des hypotrochoïdes). Ce sont les courbes que décrit un point P lié à un cercle (C) de centre O intérieur à un cercle fixe (C 0 ) et roulant sans glisser à l’intérieur de celui-ci. Si R désigne le rayon de (C 0 ), r celui de (C) (avec r < R), d la distance OP, de telles courbes ont pour équation paramétrique complexe  avec 0 ≤ t ≤ 2 π .

C’est l’architecte britannique Peter Hubert Desvignes (1804 − 1883) qui avait développé le premier spirographe. Au vu des figures obtenues, on comprend mieux pourquoi il était à l’origine destiné au tracé des « guillochés » assez fins et subtils utilisés pour prémunir les documents officiels (certificats, billets de banque…) des falsifications.

 

Guillochés anti-contrefaçon dessinés au spirographe.