Éditorial


Jean-Jacques Dupas et François Lavallou

En se sédentarisant, nos ancêtres ont rencontré des formes géométriques élémentaires délimitées par des tronçons linéaires, les polygones. Les crues régulières du Nil ont ainsi nécessité de développer des outils géométriques pour reconstituer le cadastre, forme et surface des champs cultivés.

Très vite, de multiples formes de polygones sont venues agrandir cette famille. On doit aux mathématiciens grecs leur nomenclature, encore en usage aujourd’hui. Ces derniers se sont ambitieusement attaqués à la construction de cette multitude de polygones, avec la contrainte de n’utiliser qu’une règle, non graduée, et un compas. On démontrera bien plus tard, au XIXe siècle, que seuls certains polygones réguliers peuvent être construits de la sorte. La première impossibilité est l’heptagone, et pourtant, Archimède en proposera une construction exacte en s’affranchissant de la contrainte règle-compas.

Ce fut une constante séculaire que les polygones, figures apparemment simplissimes, furent étudiés par les plus grands mathématiciens, comme Héron, Ptolémée, Brahmagupta, Viète, Képler, Girard, Euler, Gauss, Steiner et bien d’autres. Le simple n’est pas forcément élémentaire et le compliqué, complexe.

On peut penser aussi à des artistes comme Léonard de Vinci et Albert Dürer, ou les ingénieurs des fortifications à partir du XVIe siècle. Ces derniers auront une nouvelle approche pour la construction de polygones réguliers, non par ignorance mathématique, mais, par maîtrise d’une approximation pratique pour les bâtisseurs.

La définition même des polygones a évolué au cours du temps pour atteindre sa forme abstraite au XXe siècle, grâce au spécialiste de géométrie discrète Branko Grünbaum, intégrant ainsi les nombreux « cas pathologiques » de son histoire.

Nous laisserons de « côté » les triangles, non parce que ce sont les plus élémentaires des polygones, mais parce que nous les avons déjà traités dans un précédent hors-série (Le triangle, Bibliothèque Tangente 24, 2005). Mais les quadrilatères ne sont pas de reste et vous leur découvrirez de nombreuses propriétés surprenantes, et verrez surgir de l’inattendu à partir de l’élémentaire, ou supposé tel.

Ce domaine d’étude, toujours d’actualité, ne demande pas de connaissances particulières, mais « simplement » de la curiosité et de l’imagination. Le mathématicien américain David Peter Robbins a ainsi cherché à généraliser les formules de calcul de surfaces, établies par Héron d’Alexandrie et Brahmagupta pour les triangles et quadrilatères, par des voies non triviales.

Les polygones sont le parangon des sujets qu’il serait prétentieux de dire triviaux, et appellent à une certaine modestie mathématique tant le contraste est grand entre leur apparente simplicité et la richesse de leurs propriétés.